Si le Mabel n’est plus depuis fin juin, il n’en reste pas moins de très beaux souvenirs (Persea Americana forever!) et quelques leçons à partager. Par exemple : comment faire cohabiter créativité et gestion d’un bar.

C’est en effet le sujet qu’Erick Castro (Bartender at Large) aborde avec Joseph Akhavan dans le dernier épisode de son podcast.

Les deux hommes ont échangé récemment pendant une trentaine de minutes sur comment rester créatif quand on s’occupe aussi de la partie business et administrative de son bar. Et plus précisément dans le cas de Mabel (encore ouvert au moment de l’enregistrement) : comment Joseph parvient à gérer cela alors qu’il est personnellement derrière le comptoir 5 jours sur 7 ?

La clef : réaliser que management et création ne sont pas en opposition. Pour l’essentiel, la créativité est avant tout un travail instinctif, en tâche de fond. Le développement des menus se fait ainsi au fur et à mesure.

En effet, Joseph ne définit pas de date à laquelle il doit s’y coller, mais note plutôt ce qui l’inspire sur son téléphone, dans les brouillons de ses mails, quand les idées lui viennent naturellement. Il inscrit ainsi des noms d’ingrédients en vrac, quand ceux-ci l’inspirent, puis il laisse passer le temps.

Il parcourt ces notes par la suite et réfléchit a posteriori comment il pourrait faire fonctionner tout cela. Là est son point de départ.

L’avantage principal est que l’idée a pu mûrir. D’une inspiration un peu floue au début, avec simplement un profil aromatique en vue, il peut alors développer la suite de sa recette pour aboutir à un cocktail complet avec les autres idées qu’il a noté depuis. Et si l’on fait face à un mur ou à un manque d’inspiration, le fait de ne pas forcer les choses peut-être salvateur. Ça finit toujours par venir. Un menu ne se fait pas d’un coup. Ou si parfois il peut se boucler en 10 minutes à la faveur d’un parfait alignement des planètes, il faut aussi savoir apprécier quand cela prend 3 mois ou plus.

En outre, quand on gère un bar, on a tant à faire qu’il n’y a finalement pas à s’inquiéter si on n’arrive pas à avancer sur un menu : avec toutes les autres obligations à gérer, y revenir plus tard n’est certainement pas une mauvaise option.

Qui plus est, s’occuper d’autre chose détourne notre attention de cette négativité temporaire, ce qui est on ne peut plus positif. Et on apprécie alors d’autant plus le reste.

Joseph évoque entre autre comment lui est venu l’idée du « Bamboo Crane », un twist de Manhattan à base de Nikka qu’il avait créé avant même l’ouverture du Mabel. Partant alors d’un style de cocktail, il explique comment il a depuis préféré développer des recettes en partant d’ingrédients, saveurs, …

C’est là que sa prise de note est fondamentale (même si elle semble être une curiosité pour certains). Aussi, avec cette approche, la partie business devient naturellement moins stressante : dans la mesure où il ne se contraint pas à créer un menu à une date précise et que ses idées sont bien notées, il peut gérer son bar sereinement.

De plus, Joseph tient à garder cet aspect créatif du métier le plus fun possible. Or créer un menu de force, à date fixe, plutôt que spontanément, peut alourdir tout le reste et devenir frustrant et contre-nature.

Pour relativiser encore davantage, il rappelle qu’au final, même lorsqu’un menu vient tout juste de sortir, ne serait-ce que depuis une semaine ou même un jour, il y aura toujours des clients pour demander quand est prévu le prochain…

Notons par ailleurs que la créativité n’est pas qu’une question d’ingrédients ou techniques. A l’instar de sa réflexion sur le « Naughty By Nature », un cocktail façon milk punch au rhum avec des cacahuètes notamment. Ici, s’agissant d’un drink pré-batché, le travail a aussi dû se porter sur la manière de présenter le cocktail aux clients, et garder l’expérience bar intacte et amusante malgré qu’on ne voit pas le cocktail fait minute sous ses yeux, grâce à un service en bouteilles individuelles notamment.

© Jean-Claude Amiel

De même, il est question des inspirations derrière le « Blockbuster Daiquiri » (ci-dessus) du Mabel. Une création qui, au delà du célèbre sour à base de rhum, est aussi allé chercher du côté du « Cuba Libre » pour proposer un daiquiri pour le cinéma. Ici, avec un sirop maison qui évoque le coca (et non un sirop de Coca directement) et une essence de popcorn, inspirée du « Cinema Highball » de Don Lee lorsqu’il travaillait au PDT (New York).

Pour compléter, Erick Castro évoque pour sa part les approches de Kanye West ou encore Stephen King : une discipline de création quotidienne qui peut aussi s’appliquer aux cocktails.

Par exemple, s’obliger à créer 3 cocktails par jour. Bons ou mauvais, l’idée est que ce processus est particulièrement pédagogique. Ce qui n’aboutit pas le jour J peut donner lieu avec le recul à des recettes particulièrement réussies plus tard. Le tout est de ne pas avoir peur d’échouer et ne pas se soucier davantage des critiques.

Que vous soyez partisans d’une méthode ou d’une autre, il y a dans tous les cas matière à méditer !

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