Ce mardi 27/10/15, en compagnie des équipes des Copperbay, Calbar, Café Moderne, Dirty Dick, Baton Rouge ou encore Club du Cercle pour n’en citer que quelques-uns, j’ai eu le plaisir d’assister à une masterclass de Marian Beke (ex-Nightjar, à Londres) dans le cadre cosy du Andy Wahloo, en amont du guest-bartending qu’il allait y effectuer le soir même (pour info, c’était très très bon !). Pendant près de deux heures, il nous a distillé sa vision du bar et des cocktails, et a partagé avec nous l’état d’esprit avec lequel il parvient à réaliser des menus toujours plus créatifs…

En effet, dans un contexte très concurrentiel, en particulier à Londres, où finalement à peu près tout le monde serait capable de mesurer et reproduire des cocktails classiques (un point qui peut certainement être débattu, mais là n’était pas la question), il s’agit avant tout d’être capable de réaliser des choses que les bars voisins ne font pas, ou qui du moins demanderont davantage d’efforts pour pouvoir être reproduites ailleurs. Se distinguer, être unique, faire différemment (ou simplement mieux ?) et toujours savoir pourquoi on a adopté tel ou tel parti pris, tel serait finalement l’un des enjeux clefs pour susciter et faire perdurer l’intérêt de ses clients.

Pour cela, Marian Beke, devant son immense mise en place thématique exposée tout du long du comptoir du Andy Wahloo, a parcouru méthodiquement avec nous plusieurs sujets (sirops, garnitures, sodas, infusions, fumée, glace…) afin de nous montrer comment penser autrement tout ce qui se fait communément dans de nombreux bars et ainsi pouvoir mieux s’en distinguer dans le futur, tout en étant capable de justifier chaque chose, du choix des ingrédients à la déco du bar. Voici donc un petit tour d’horizon de quelques-uns des exemples qu’il nous a exposé :

Sirops / Cordials :

  • Grenadine : une recette a priori très basique, le B.A.-BA même, mais est-ce vraiment le cas ? Qu’on fasse une recherche sur Google ou qu’on se plonge dans ses références auprès de barmen aussi éclairés que Jeffrey Morgenthaler, Jim Meehan (PDT) ou les équipes de Milk & Honey / Attaboy, on vous explique généralement qu’il vous faut simplement du jus de grenade et du sucre (ainsi que de la fleur d’oranger pour certains) pour en faire. Mais est-ce la seule façon de procéder ? Pas vraiment. Marian Beke suggère en effet une combinaison au résultat surprenant : un mix de vin rouge, de vinaigre balsamique et de miel (MB n’utilise pas de sucre blanc dans son bar, lui préférant globalement la richesse aromatique du miel). Et ça marche ! Par contre, ne nous demandez pas les proportions, il ne nous les a pas dévoilé, sa démarche consistant à nous inciter à tester plutôt que de tout nous donner clefs en main… Et pour aller plus loin, on peut également pousser l’expériences en remplaçant le vin rouge par du porto, ou du vermouth, etc. pour jouer sur les différentes saveurs de chacun
  • Sirop de rose : Marian Beke utilise ici des loukoums (« turkish delights ») qu’il dissout en les faisant chauffer avec du liquide… Simple, efficace
  • Lime cordial (pour un classique Gimlet par exemple) : là, MB n’utilise étonnamment pas le moindre jus de citrons verts (il préfère les conserver pour les presser minute pendant son service), mais plutôt des zests / peaux, de la citronelle et d’autres plantes / herbes. Là encore, résultat très convaincant

Recyclage :

  • Pour le sirop de rose plus haut, je vous parlais de liquide… Sur ce point, Marian Beke nous a révélé ne plus utiliser d’eau pour toutes ses cuissons (car neutre et sans grand intérêt gustativement), mais préférer d’autres alternatives. Par exemple, s’il a servi beaucoup de gin & tonic la veille et qu’il lui reste de l’eau de tonique trop plate pour être servie, il l’utilisera en cuisson plutôt que de la jeter. Celle-ci lui permettra d’enrichir ses préparations avec de nouvelles saveurs (amertume, etc.). Le même raisonnement s’applique évidemment sur bien d’autres liquides, y compris un champagne plat par exemple qui a défaut de pouvoir être servi tel quel aux clients, pourra servir à d’autres préparations

Textures :

  • Marian Beke fait son propre cream soda (et d’autres). Aussi, pour pouvoir reproduire la texture si particulière de cette boisson, il utilise des algues alimentaires (a priori de la Carragheen). Il fallait y penser !

Infusions :

  • Pour les feuilles de tabac, en évitant les problématiques sanitaires potentielles, Marian Beke a fait la démonstration d’une infusion en plaçant les feuille directement dans sa passoire (fine strainer), lesquelles il allume avec un chalumeau (par le dessus pour ne pas chauffer la toile métallique de l’ustensile) avant de verser son cocktail par dessus. Le liquide passe ainsi à travers les feuilles, s’aromatise légèrement sans pouvoir véritablement fixer les mauvais particules du tabac. A tester avec prudence quoi qu’il en soit, et beaucoup de modération
  • Dans un tout autre style, MB propose une technique d’infusion avec de la glace carbonique : dans une cafetière italienne, verser son liquide de base, y ajouter la glace carbonique, replacer le filtre par dessus avec les herbes / épices choisies et laisser la magie opérer. Avec la pression le liquide va traverser les herbes et ressortir aromatisé, exactement comme pour le café finalement. Avantage notable de cette technique : la glace carbonique ne peut pas traverser le filtre et donc les risques liés à son usage sont ici nettement plus réduits qu’avec la plupart des autres techniques employées en général
  • Pour simuler sinon un vieillissement en fût sans s’embarrasser… d’un fût justement, et sans avoir à attendre des semaines surtout, Marian Beke utilise un siphon. Rien de bien original jusque-là, si ce n’est qu’il suggère d’utiliser des morceaux de bois qui ne sont justement pas utilisés pour fabriquer des fûts, et notamment des bois parmi les plus chers. Car si fabriquer un fût complet avec certains bois pourrait en ruiner plus d’un (ie. compter des dizaines de milliers d’euros pour certains bois), c’est tout de même beaucoup plus abordable pour un bartender qui n’aura besoin ici que de petits copeaux pour obtenir le résultat escompté, tout en distinguant sa boisson des tous les arômes des bois habituellement utilisés en maturation

Smoking gun :

  • Pour rester dans le bois : plutôt que d’utiliser des copeaux ou de la sciure de bois tels quels avec son smoking gun, Marian Beke suggère de les imbiber (e.g. avec du vermouth ou autre) et de les re-sécher au préalable. Ainsi, la fumée produite sera elle-même aromatisée et selon les infusions choisies, les combinaisons et saveurs obtenues sont quasi infinies

Glace :

  • Pour remplacer l’usage de glace dans les verres, Marian Beke propose quelques pistes originales : un gros morceau de sel cristallin par exemple, glacé avec du caramel et placé au congélateur. Outre l’association évidente au caramel salé, l’idée du glaçage est évidemment de protéger le cocktail en lui évitant de devenir salé
  • Le bois peut aussi être utilisé comme une sorte de glaçon. Le gros copeau choisi sera préalablement brûlé à son extrémité, ce qui permet d’en ouvrir les pores en vue de l’imbiber avant sa mise au congélateur. En se réchauffant avec le cocktail ensuite, il libèrera progressivement de nouvelles saveurs et senteurs
  • La cire d’abeille fonctionne de même ici, et peut d’ailleurs s’utiliser à la manière d’une bougie : gardée préalablement au congélateur, elle est placée dans le verre. Une fois le cocktail versé, elle dépasse légèrement et peut-être allumée. Elle se consume alors tout en continuant à maintenir le cocktail froid grace à sa partie glacée immergée
  • Enfin, des gnocchis peuvent également faire l’affaire. L’idée sera là aussi de les laisser macérer pour les aromatiser au préalable

Garnishes :

  • Une technique intéressante entre autres : l’utilisation de chocolat fondu, coulé minute sur un gros bloc de glace juste avant la préparation d’une commande. Avec le froid du bloc et le temps de réaliser le cocktail, le chocolat ainsi versé en vrac se durcit et peut être décollé ensuite en un seul morceau pour être placé par dessus le verre. Et en mêlant du chocolat noir, du chocolat blanc, et toute sorte d’épices ou herbes, on peut arriver à créer des garnitures particulièrement originales

Au final, pas mal de choses ont été présentées et discutées, et de toute évidence la plupart des idées partagées se démarquaient des pratiques couramment aperçues dans les bars. Il est ainsi intéressant de noter les freins qui conduisent la plupart des endroits servant des cocktails à ne pas les adopter : au delà de la créativité nécessaire, un bar étant avant tout un business, les problématiques de temps (et de masses salariales correspondantes) sont particulièrement bloquantes. Aussi, si pour cette raison une idée (comme certaines présentées ci-dessus par exemple) n’est utilisée dans aucun bar avoisinant, Marian Beke y voit avant tout une opportunité justement, un point qui permettra de se distinguer de la masse et qui mériterait donc sans doute d’y réfléchir en vue de trouver des moyens ingénieux et peux coûteux / économiquement viables de les mettre en place…

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